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RÔLE DE LA DIASPORA DANS LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ? NI VACHE À LAIT NI SOLUTION MIRACLE.

Les transferts financiers opérés par les travailleurs migrants ou expatriés ont atteint, ces dernières années, des sommes supérieures au montant de l’aide publique au développement (APD).  En 2005, l’APD stagnait à 105 milliards de dollars alors que les envois de fonds grimpaient à 167 milliards de dollars.  On constate toutefois que ces fonds servent surtout à la consommation des familles et à des investissements individuels dans les pays d’origine.  En conséquence, est-il vraiment réaliste de vouloir faire reposer sur les épaules d’une diaspora la responsabilité du développement ou de la reconstruction d’un pays ?  N’est-ce pas une forme de fuite en avant, et une manière, pour la communauté internationale, de se débarrasser des engagements qu’elle n’a d’ailleurs pas tenus en matière de développement.

Existe-il vraiment des « diasporas », au sens où on veut les définir aujourd’hui de manière « utilitariste »?  Ne serait-il pas plus pertinent de parler du rôle que peuvent jouer les nationaux, ou les associations que forment, dans leurs pays d’accueil, les ressortissants de certains pays sur des bases culturelles, linguistiques ou géographiques ?

Les diasporas, leur diversité et leurs capacités

C’est pour apporter des éléments de réponse à ces questions que la Deuxième Commission a tenu aujourd’hui une table ronde, organisée par le Bureau du financement du développement du Département des affaires économiques et sociales de l’ONU, sur le thème « Favoriser la création d’entreprises dans les pays en développement : le rôle des diasporas ».

Animée par des experts, la table ronde, qui a été dirigée par Mme Tiina Intelmann, Présidente de la Commission économique et financière, a d’abord voulu identifier les raisons qui poussent de plus en plus les nationaux de certains pays du Sud à quitter leur pays d’origine.  Il y a plusieurs types de diasporas, a, à cet égard, souligné Rajat Gupta, l’expert du cabinet-conseil McKinsey, qui a établi une distinction entre les membres les plus formés et les plus productifs d’une diaspora, ayant généralement quitté leur pays pour des raisons politiques, et les autres, émigrés économiques accomplissant des tâches qui n’exigent pas de hautes qualifications.  « L’élite de la diaspora travaille généralement dans des secteurs de pointe, en y comblant les insuffisances que les pays riches connaissent en matière de ressources humaines », a noté M. Gupta.  C’est le cas de nombreuses élites exilées des pays d’Asie du Sud et du Sud-Est, qui constituent aujourd’hui l’épine dorsale des entreprises de certains pays industrialisés dans les secteurs des technologies de l’information et de la communication (TIC), de la médecine de pointe ou de la recherche pharmaceutique et technique.

 

« Chaque diaspora a des spécificités qu’il faut identifier pour pouvoir créer un lien productif entre elle et son pays d’origine », a quant à lui indiqué Chukwu-Emeka Chikezie, Directeur exécutif de la Fondation africaine pour le développement, qui réunit des professionnels africains vivant au Royaume-Uni.  « La grande difficulté que rencontrent les professionnels africains installés en Europe et Amérique du Nord vient d’abord de l’absence de structures de contact qui leur permettraient d’entretenir un dialogue avec les autorités de leurs pays d’origine », a estimé Chukwu-Emeka.  Soulignant qu’il faudrait créer un cadre accueillant dans lequel les membres des diasporas puissent insérer leurs capacités, l’expert a cependant noté qu’il faut éviter de créer un antagonisme entre la diaspora et les cadres restés dans les pays d’origine.

 

« Le membre de la diaspora qui veut investir ou se réinstaller dans son pays d’origine ne doit pas être perçu comme une menace, ce que l’on a trop souvent constaté dans certains pays parce que le dialogue qui aurait permis aux différentes parties de se connaître et de s’entendre n’existe pas ».  En Afrique, on constate aussi que les pays qui commencent à connaître un succès en la matière sont ceux qui ont créé des environnements porteurs en reconnaissant les doubles nationalités et en mettant en place un cadre ouvert d’expression publique et de gouvernance transparente.

 

Diasporas: ni vaches à lait ni solution miracle

 

De nombreux participants à la table ronde ont mis en garde contre la tendance à considérer la diaspora comme des « vaches à lait ».  Il ne faut oublier que les transferts financiers dont parlent des tables rondes comme celles-ci sont des fonds privés.  La communauté internationale ne devrait pas parler de ces fonds comme s’ils faisaient partie de l’APD.  Les interventions des membres des diasporas dans les domaines de l’investissement et du développement doivent se faire de manière libre et volontaire.

 

De toutes façons, ont relevé les experts, les ressortissants d’une diaspora ne peuvent rien faire de productif dans leurs pays d’origine s’ils n’y trouvent pas des relais et des réseaux de soutien. Ils ont besoin d’avoir des gens et des structures auxquels ils peuvent faire confiance quand ils veulent y investir leurs économies ou d’autres ressources.  Il faudrait aussi qu’au sein des diasporas elles-mêmes, il y ait un cadre qui permette à leurs membres de se rencontrer et d’identifier ensemble les secteurs dans lesquels ils pourraient se lancer avec succès.  La dispersion et l’isolement des initiatives, que l’on a constaté, à ce jour, portent peu de fruits.

 

La notion de codéveloppement, introduite il y a quelques années par la France, dans le cadre de la gestion de la question de la migration et du développement, a longtemps été critiquée par certains partenaires au développement, a fait observer la représentante française qui s’est réjouie que

l’on commence à reconnaître aujourd’hui que ce concept, dont la mise en œuvre est basée sur la création de partenariats et d’un dialogue permanent, peut connaître le succès, comme on le voit au Mali et au Maroc.  Dans ces pays, les migrants bénéficient de cadres qui leur permettent d’investir leurs transferts financiers dans des microprojets et dans la création de petites entreprises.

 

Les diasporas devraient-elles bénéficier de traitements spéciaux?

 

Pour Mme Lisa Curtis, Conseillère pour le développement du secteur privé au Ministère britannique pour le développement international, qui intervenait comme experte, les transferts financiers des membres de la diaspora ont, dans certains pays, comme le Bangladesh ou la Sierra Leone, considérablement renforcé les avoirs des secteurs bancaire et financier.  Le niveau et l’efficacité de l’usage de  ces transferts pourraient cependant être améliorés, a-t-elle estimé en recommandant d’abord une baisse des coûts des virements financiers. La communauté internationale devrait, en outre, réfléchir aux moyens de transformer les membres des diasporas en une classe spéciale d’investisseurs.

 

Ce point de vue a cependant été disputé par des délégations, comme celle du Bénin, dont la représentante a noté que quels que soient les pays, leur développement s’étaient toujours fait de l’intérieur.  L’accent mis sur le rôle de la diaspora ne revient-il pas à faire de ses membres une classe à part, qui bénéficierait de traitements spéciaux? s’est-elle demandé.  Faut-il désormais qu’un pays traite ses propres citoyens résidant à l’étranger comme il traiterait des investisseurs étrangers, et n’est-on pas en train de vouloir, d’une certaine matière, redéfinir la problématique du développement et les solutions à lui apporter?  La représentante de l’Arménie, pays de vieille émigration, a partagé ces doutes: « Nous avons appris que  c’est une erreur de faire reposer, de manière disproportionnée, nos espoirs de développement sur les seules épaules de la diaspora ».

 

La représentante arménienne a argué que l’expérience a montré que les diasporas ont besoin d’être impliquées, en partenaires, et comme nationaux sensibles aux problèmes de leurs pays, dans leurs efforts de développement.  « Percevoir ses propres concitoyens comme des vaches à lait chargées d’actions qui s’apparentent à des interventions humanitaires n’a jamais promu un développement durable ».  Une différence doit être faite entre les devoirs qu’ont les individus envers leurs familles restées dans les pays d’origine, et le rôle de construction nationale qu’on veut aujourd’hui leur faire jouer, a renchéri le représentant du SaintSiège.  « Nous ne disposons d’aucun exemple concret et d’aucune statistique fiable sur le rôle des travailleurs migrants comme acteurs majeurs du développement ».

 

Diaspora et soutien à la reconstruction de pays sortant de conflit

 

Depuis la fin de la guerre en Sierra Léone, a indiqué, l’expertebritannique, la diaspora, qui s’intéresse au redressement de son pays, voudrait y participer.  Il lui manque cependant le cadre d’évaluation des risques qui lui permettrait d’avancer d’un pas plus assuré et mieux informé.  Étant surtout des professionnels travaillant dans le secteur des services, les membres de la diaspora sierra-léonaise, qui vivent majoritairement au Royaume-Uni et en Amérique du Nord, ont besoin qu’on les aide à s’investir dans la création de petites et moyennes entreprises manufacturières.  C’est à ce niveau que les agences de développement pourraient intervenir, en les aidant à acquérir, à la fois des capacités managériales et des connaissances dans les processus de production.

 

En même temps qu’on encourage la diaspora à investir, il faut néanmoins  être réaliste et reconnaître que les risques d’échec sont élevés et que le chemin de la réussite peut être semé d’embûches.  D’où la nécessité de créer en sa faveur un réseau de soutiens et de contacts, a poursuivi l’experte en estimant que quand elle investit dans son pays d’origine, la diaspora peut jouer un rôle de catalyseur.  Ayant des liens avec l’extérieur, ses membres indiquent clairement, par leurs actions, aux entreprises de leurs pays d’accueil que leur pays d’origine est stable, digne de confiance, et favorable à l’investissement.

 

Tirer parti des accords préférentiels accordés aux pays en développement

 

La pauvreté en zones rurales étant le problème le plus grave auquel doivent faire face les pays en développement, que peut faire la diaspora pour y soutenir la création d’entreprises pouvant exploiter, transformer et exporter les nombreuses ressources naturelles et agricoles qui y végètent, faute d’investissements et de connaissances?  Pour répondre à cette question, Mme Wanja Michuki, créatrice et Directrice de la « Highland Tea Company », du Kenya a estimé qu’étant souvent mieux informés que leurs compatriotes, les membres des diasporas peuvent mieux tirer parti des cadres commerciaux préférentiels accordés aux pays pauvres par les pays riches.  Elle a pris pour exemple le cas de l’Accord commercial préférentiel pour les opportunités de croissance (AGOA), offert par les États-Unis aux pays d’Afrique.

 

Elle a relevé que la majorité des pays africains ne parvenaient pas à tirer parti de l’AGOA du fait de leur manque de capacités humaines et de ressources d’investissement.  Conçu pour favoriser le développement d’un secteur privé pouvant mettre en valeur les produits locaux et créer des emplois, ce genre d’accord préférentiel d’échanges commerciaux offre aux diasporas et à leurs gouvernements d’origine un cadre dans lequel ils pourraient coopérer de manière fructueuse, une des parties apportant ses multiples expertises et ses investissements, et l’autre l’aidant en mettant en place un cadre d’investissement et de gouvernance qui profitera aussi à un meilleur accueil de l’investissement étranger direct.

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